Lorsqu’en novembre dernier, Pierre Pouëssel et Philippe Saurel annoncent conjointement le démantèlement prochain du camp de roms situé à Celleneuve et le relogement de familles dans des bungalows sur un terrain près du château de Bionne, les riverains du quartier n’ont pas particulièrement apprécié la nouvelle. En plus d’avoir été exclus des discussions, ils dénoncent l’accumulation de campements qui font, selon eux, de ce secteur un ghetto. Une situation qui illustre toute la difficulté de concilier la mission d’accueil des populations roms par les collectivités et le bien-être des habitants.
Démantèlement du camp de Celleneuve
Face aux différents problèmes posés par le camp de Celleneuve, où vivent depuis 2013 dans des conditions d’insalubrités intolérables entre 120 et 170 personnes, préfecture et municipalité ont choisi de le déplacer sans user d’une expulsion autoritaire Et ce, même si le camp, installé sur un terrain appartenant à la Serm, faisait l’objet depuis 2015 d’une décision de justice ordonnant l’expulsion. La Ville met à disposition un terrain de 6 500 m², qu’il faut encore mettre aux normes, et la Préfecture financera l’installation de 28 bungalows. « Sur ce dossier, nous sommes facilitateurs. C’est la Préfecture et l’État qui sont aux manettes » rappelait récemment Philippe Saurel.
Sans prendre en compte l’aménagement du terrain, le coût de l’opération s’élève pour une année à 360 000 € pour la location des bungalows, plus 8 000 € par famille pour l’accompagnement social. Ce lieu de transition, nommé village par les autorités, sera par ailleurs géré par une association avec l’objectif d’amener les familles vers un relogement. Déjà essayée à Toulouse et à Strasbourg, cette expérimentation, qui ne sera pas étendue aux autres camps de Montpellier, a été saluée par les associations sociales.
Mais si les habitants de Celleneuve, qui importunés notamment par les brûlages des plastiques et des pneus avaient lancé une pétition, sont soulagés, ce n’est pas le cas des riverains de Bionne. Questionné à leurs sujets par France Bleu Hérault lors de la conférence de presse mené avec le préfet, Philippe Saurel déclarait : « C’est compliqué de transférer un camp comme celui là. Souvent, dans les décisions que l’on prend, on n’a pas à choisir entre blanc et noir. Il faut quelques fois trancher entre gris perle et gris pale ». Le maire de Montpellier s’en remettait à l’association chargée de la gestion du futur camp afin que « les nuisances soient très limitées pour l’ensemble des riverains qui sont peu nombreux dans le secteur de Bionne ».
Quand les riverains de Bionne découvre la nouvelle
Les riverains sont certes peu nombreux mais ces derniers ont voulu se faire entendre. Découvrant l’annonce du préfet et du maire dans la presse, leur sang n’a fait qu’un tour : « Vous pouvez imaginer ? On a un métier, des salariés, on se bat tous les jours. Et là vous ouvrez le journal et il y a marqué : vous êtes morts ! » témoigne Bertrand Schmitt, dirigeant d’entreprise dans le quartier. Ce dernier regrette en premier lieu le manque d’information : « Il a été dit que tous les acteurs concernés ont été préalablement concertés. Si les habitants de ce quartier ne font pas partie des acteurs concernés, je ne sais pas ce que l’on peut appeler concerné ».
Emmanuelle Goûnelle, gérante du Grand Arbre, est amère : « Cela donne l’impression de ne pas faire partie de l’équation ». Son restaurant gastronomique se trouve à quelques mètres du terrain choisi. Le lendemain de la conférence de presse, alertée par les nombreux messages de ses proches, elle contacte la mairie qui la renvoie aux services de police. Après être parti aux renseignements, l’officier lui déclare : « Les roms ne peuvent pas s’installer à côté de chez vous. Nous n’avons pas d’information dans ce sens, ni police nationale, ni mairie, il n’y a aucun retour sur ces informations de la presse. Il n’y a aucun fondement ».

Si la restauratrice souffle un instant pensant à un couac, elle doit rapidement faire face à la réalité. D’autant qu’« il y a trois ans, on nous a juré qu’ici, au niveau du PLU, c’était impossible de mettre des habitations quelles qu’elles soient, que c’était la coulée verte de Montpellier. C’était sous Hélène Mandroux, je suis d’accord, mais moi j’étais là sous elle, je suis là sous monsieur Saurel et j’espère être là pour monsieur Saurel ou un autre peu importe. Ma réflexion n’est pas politique » tempère la chef d’entreprise. Une seule route mène au futur « village » et passe devant son établissement. Aujourd’hui, elle alerte : « Je ne vais pas attendre que mon chiffre d’affaires baisse pour vous dire vous voyez j’avais raison. On a tous un impact différent. Les maisons et le cadre de vie vont être dépréciés. C’est dramatique d’être ignoré ».
Déjà d’autres camps à Bionne
Ce n’est pas le camp en soit qui met en colère les riverains. C’est qu’il s’agit d’un camp en plus. « Ce qu’ils sont en train de faire cela s’appelle un ghetto. La particularité de ce quartier c’est que c’est déjà une concentration de choses qui ne conviennent pas » dénonce Bertrand Schmitt, « On a juxtaposé ici toutes les formes de communauté dites gens du voyage. Il y a le camp de passage en face, les évangélistes, le bidonville le long de la Mosson et le camp au niveau du domaine Bonnier de la Mosson ».

En 2013, face à cette situation, une cinquantaine de riverains se sont réunies autour de l’association Les Amis du quartier Vert de Bionne et des Rives de la Mosson. « Nous ne sommes, ni pour, ni contre les Roms. Nous combattons pour un cadre de vie et, en tant que citoyens, nous sommes totalement indignés par ce que l’on voit autour de nous à des centaines de mètres. On peut avoir les opinions politiques que l’on veut, savoir si ces gens devraient ou pas être en France… mais à partir du moment où ils sont là, on ne peut pas être aveugle et faire comme si rien ne se passait. Ce ne sont des solutions pour personne. Notre combat ne va pas à l’opposé de ces gens-là. C’est tout ce qui ne convient pas que l’on dénonce » explique Bertrand Schmitt.
Ce dernier tient à être clair : « Généralement, on range ceux qui sont opposés à ce genre de projet dans le cadre des égoïstes voire des racistes. La réalité, c’est exactement le contraire. Ceux qui font le lit, demain, des votes extrémistes, c’est ceux qui laisseront les populations dans le désespoir, qui ne croiront plus en la démocratie et d’ailleurs, comme par hasard, c’est sur l’ouest montpelliérain sur lequel les votes extrémistes ont été les plus marqués lors des dernières élections ».
En 2014, l’association, après avoir assigné le propriétaire d’un terrain pour négligence, obtient de la justice un arrêté d’expulsion d’un camp installé illégalement dans le quartier. Une procédure qu’aurait également pu engager la municipalité. L’ordonnance ne sera jamais exécutée par le préfet Pierre de Bousquet. Le terrain, qui est redevenu un bidonville, a depuis été revendu dans des conditions que dénonçait alors l’association : « Comme c’était un terrain agricole, nous avions alerté la Société d’Aménagement Foncier Et Rural et la mairie d’un éventuel projet d’acquisition. Ils ont laissé la vente se faire. Depuis, des centaines de camions sont venus déballer pour couvrir des centaines de mètre cube de déchets en zone naturelle sensible. Tout a été remblayé et, encore aujourd’hui, il y a des déchets qui seront emportés à la première crue pour terminer dans la rivière ».

Quotidiennement ces riverains subissent les désagréments des feux de plastiques ou parfois des vols de métaux comme un portail ou des grillages. En juillet 2017, face à la multiplication des incidents, Bertrand Schmitt écrit à Nicolas Hulot, ministre de l’Écologie, pour dénoncer la situation : « On est dans un scandale humanitaire, évidemment, et écologique. C’est une monstruosité avec les déchets et les rejets dans des zones naturelles sensibles. Dans un scandale économique aussi car les coûts pour la société sont dix fois supérieurs à ce que coûterait l’ambition de leur apprendre le français, un métier, les insérer correctement. Touristiquement aussi. Quelle image donne-t-on de la région ? Et bien évidemment de société car nous payons nos impôts, les taxes locales et on a le droit de vivre dans un cadre de vie normal ».
La réponse du directeur de cabinet du ministère de l’écologie indique que le préfet a été saisi du problème. Les riverains veulent alors croire en ce nouvel espoir. La désillusion est totale. « La seule réponse que nous avons eu derrière c’est de voir le préfet et le maire qui se serrent la main en disant : Bonne nouvelle, vous allez encore avoir un autre camp. Mais chère population, c’est avec le coeur » ironise amèrement Bertrand Schmitt.
Une réunion pour exprimer leur colère
En décembre dernier, la municipalité organise une réunion à Celleneuve afin de présenter les aménagements du quartier. Rien à voir avec le bidonville mais, induits en erreur par un article de presse qui le mettait à l’ordre du jour, quelques riverains s’y rendent et interpellent Philippe Saurel. « Nous n’étions pas venus à la réunion pour faire un coup de poing mais pour dialoguer, pour construire quelque chose ensemble : riverains, état, mairie et populations concernées » précise Bertrand Schmitt. Face au refus du maire de s’exprimer à ce sujet la colère monte. Emmanuelle Goûnelle raconte : « J’étais dans l’attente. J’y allais pour dire que l’on était là, que l’on voulait en parler. J’ai eu droit à « Non c’est fait on va les déménager ». Première phrase ! Elle est gravée. On se sent tellement impuissant. C’est l’affect qui prend le dessus. Je n’étais pas seule à attendre les réponses. Qu’est ce que j’allais dire à ma famille et à mes employés ? ».

Devant leur insistance, Philippe Saurel concède à organiser une réunion publique en présence du préfet en janvier 2018. Bertrand Schmitt commente : « Ce n’était jamais arrivé jusqu’à maintenant. On va avoir le préfet et la mairie dans une même salle. Cela fait des années que l’on en rêve ». Encore une fois les riverains doivent déchanter. Préfecture et municipalité, pris par les différents vœux, ne s’accordent pas sur une date. Puis, interrogés à plusieurs reprises quand à la tenue de cette réunion, chacun se renvoie la balle sur la volonté des uns et des autres.
« J’ai rencontré pas mal de riverains et j’avais déjà fait une réunion à Celleneuve. Le Village des Roms il faut bien l’implanter quelque part. Faire des plans sur la comète c’est facile, gouverner et décider c’est plus compliqué. Je gouverne, je décide et j’essaie de faire au mieux dans la plus grande justice » justifie Philippe Saurel avant de trancher « Le geste que l’on fait pour les réinsérer c’est un geste d’humanité, de solidarité. Mais si vous demandez aux gens s’ils veulent le Village de Roms à côté de chez eux il n’y en a aucun qui acceptera. Donc faire une réunion pour dire : Est-ce que vous les voulez ? Tout le monde va dire non et on fait quoi après la réunion ? ».
Construire ensemble
Pourtant, ces riverains, même s’ils avouent ne pas avoir LA solution auraient aimé avoir leur mot à dire : « Nous ne sommes pas là pour nous battre contre des montagnes ou ignorer des réalités humaines dramatiques ou la complexité du métier de ces gens qui ont décidé de prendre le pouvoir. Nous sommes là simplement pour qu’il y ait au moins un dialogue » avance Bertrand Schmitt, « Je pense qu’il y a d’autres solutions que celle-ci. Un peu d’audace et d’imagination permettraient sans doute de trouver de vraies solutions pour ces gens mais également un avenir pour ce territoire et pour les habitants et chefs d’entreprise du quartier ».
Le dirigeant d’entreprise lance un message au Préfet et au Maire : « Nous ne sommes pas là pour faire une polémique ou avec des rancoeurs passées. Maintenant, on est là, vous le savez. Mettons-nous autour d’une table et discutons. Il y a peut-être des choses que l’on peut faire différemment. Il faut peut-être mettre ce camp ici. Mais par contre, on ne peut pas ignorer les conséquences que cela aura ».
Avec les autres membres de l’association, il espère au moins une chose : « Le projet d’insertion doit être crédible pour ces gens et compatible avec les activités humaines et économiques déjà en place ». Et de lancer sous forme de défi : « Si la Préfecture et la Municipalité s’en sentent capables, qu’ils le prouvent et commencent à traiter autour de chez nous ce qui existe déjà ».
Des doutes sur le terrain
La première inquiétude qui vient au sujet du terrain renvoie à octobre 2014. Lors d’un important épisode pluvieux, Bertrand Schmitt adresse un mail à Philippe Saurel pour prévenir que l’un des camps est menacé par un glissement de terrain. Le lendemain, tout le monde était à l’abri et il retrouvait une caravane dans son jardin. Emmanuelle Goûnelle ajoute « à l’endroit où ils veulent les installer, à l’époque il y avait des gens du voyage. On m’a appelé à 1h du matin pour me dire qu’une centaine d’entre eux étaient dans mon restaurant. Ils avaient escaladé la palissade parce qu’ils prenaient la terre qui coulait et l’eau de la Mosson qui avait contourné la butte et arrivait par en bas. On leur a fait du café et nourri les enfants bien sûr. J’accueillais un séminaire avec 70 personnes le soir même. Personne n’est venu me voir après ou même constater s’ils allaient bien. Et ils vont les mettre là ? Cela veut dire que s’il y a un nouvel épisode grave cela peut de nouveau arriver ». Bertrand Schmitt résume : « Ce jour là, Philippe Saurel a sauvé la vie de plusieurs personnes, accessoirement, parce qu’on l’a prévenu. Et aujourd’hui, de la même façon, je tire le drapeau rouge ».

Connaissant bien le quartier, ces riverains restent sceptiques face à certains éléments. « Ici, les eaux usées sont obligées d’être traitées car il n’y a pas de raccordement aux réseaux. En termes de transports, la ligne 5, si tout va bien, c’est pour dans huit ans donc je ne sais pas comment ces gens vont faire pour se déplacer. Bref, c’est du foutage de gueule » énumère Bertrand Schmitt avant d’avancer : « C’est une concentration de misère. On crée un ghetto qui est exactement le contraire de l’insertion. Cela doit passer par de la mixité, des transports, des infrastructures… ». Coincé derrière la double voie et isolés des transports en commun, le quartier, et encore plus le terrain en question, n’est pas facilement accessible si l’on ne possède pas un véhicule.
Pour ces riverains, le rôle de l’association qui encadrera les familles roms sera déterminant. « Est-ce que l’on va leur apprendre à ne pas faire des feux, à ne pas déranger, à nettoyer, à vivre en communauté ? Ils vont vivre entre eux, sur le terrain et tant pis pour ceux qui sont autour » s’inquiète Emmanuelle Goûnelle. Martine Blanc, secrétaire de l’association, partage les mêmes craintes : « Je m’interroge sur ces associations qui sont là pour aider et soutenir les Roms. Pourquoi ne leur apprennent-ils pas à gérer les ordures ? J’aimerais bien les rencontrer pour savoir qu’est ce qu’ils font pour eux finalement ? Pourquoi les laissent-ils vivre de cette manière ? Quand ils vont vouloir les mettre dans des appartements, il va bien falloir qu’ils apprennent à vivre différemment ». L’association qui s’occupera du « village » n’a pas encore été désignée.
La communauté gitane prend la parole
Lors du conseil municipal du 1er février, la mise à disposition du terrain à l’État était à l’ordre du jour. Philippe Saurel a rappelé les intentions du projet : « C’est un village temporaire, qui n’a pas pour mission de rester définitif. Ça veut dire qu’il y aura un travail auprès des familles pour les réinsérer, l’une après l’autre, dans des logements sociaux. Les partenaires sociaux et les offices participent déjà aux commissions sous la présidence du Préfet pour proposer des logements pérennes à ces familles. Mais, entre le moment où ils sortent de Celleneuve et celui où ils trouvent un logement, on les intègre dans ces logements là ». L’éducation des enfants roms étant primordiale pour l’insertion des familles, le maire de Montpellier a annoncé que « les enfants seront laissés dans leurs écoles et un système de navette sera organisé pour les garder dans leur lieu de scolarisation ».
Durant le débat politique, la voix de la communauté gitane s’immisça par l’intermédiaire de son représentant Fernand Maraval qui voulait dénoncer la différence de traitement : « On a un ghetto à Montaubérou, aux Marels, à Figuerolles. Il y a des familles en grande précarité à La Pergola. Je ne suis pas contre qu’on reloge des familles roms mais il y a un grand écart avec les quartiers ! Je ne suis pas pour les ghettos, c’est une honte ! On n’est pas Gitans, on est Français. Gitan c’est une culture, une façon d’être. Je suis Montpelliérain avant tout et je souhaiterai que l’on soit pris en considération ».
Et de rappeler à son tour, lors de ce moment totalement inhabituel dans un conseil municipal, que le lieu choisi pour accueillir le village d’insertion des Roms était « inondable et pollué. C’est le même terrain sur lequel des familles ont vécu pendant 30 ans ». Aménagé en 1999 pour recevoir des communautés des gens du voyage, le terrain n’était plus occupé depuis 2015.
La suite ?
« C’est une situation très complexe. On ne va pas les renvoyer chez eux et, on va appeler un chat, un chat, personne n’en veut donc, de toute façon, il faut bien les mettre quelque part. Mais nous avons des revendications légitimes. Il y a un préjudice pour de nombreuses personnes et on ne peut pas ignorer ça » résume Bertrand Schmitt.
Le projet ne peut aujourd’hui être stoppé ou implanté dans un autre secteur. Le bidonville de Celleneuve devrait être transféré au printemps. Reste l’espoir pour les riverains d’un dialogue avec les différents acteurs qui participent à l’élaboration du village d’insertion des Roms. Déjà pour les rassurer quant à la pérennité de leurs entreprises mais également afin de construire au mieux le vivre ensemble dans le quartier. Un élément essentiel qui sera déjà un premier pas vers l’insertion des familles roms dans la société. Car, tout en prenant en compte les situations de chacun, c’est bien là l’objectif du projet. Qu’il se fasse sans porter de désagrément est un autre enjeu, tout aussi important pour l’acceptation des roms, que doivent gérer municipalité et préfecture.